Section thématique sur le trauma complexe chez les enfants et les jeunes : Favoriser le courage collectif nécessaire pour modifier les pratiques, les politiques et la recherche
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Comment citer

Collin-VézinaD. (2020). Section thématique sur le trauma complexe chez les enfants et les jeunes : Favoriser le courage collectif nécessaire pour modifier les pratiques, les politiques et la recherche. Revue Internationale De La résilience Des Enfants Et Des Adolescents , 7(1), 102-107. https://doi.org/10.7202/1072591ar

Résumé

Il y a vingt ans, les résultats de l'étude Adverse Childhood Experiences ont révélé que les expériences de maltraitance durant l’enfance et de dysfonctionnement familial étaient beaucoup plus fréquentes dans la population générale qu'on ne le pensait auparavant. Ils ont également attiré l'attention sur l'impact de ces expériences sur la santé physique, la santé mentale et les problèmes fonctionnels à l'âge adulte, et ont montré que ces impacts augmentaient à chaque nouvelle exposition à des expériences négatives dans l'enfance (Felitti et al., 1998). Finkelhor et ses collègues ont élargi la sélection des types d'événements adverses examinés pour y inclure les expériences de victimisation en dehors du domicile (Finkelhor, 2008; Finkelhor et al., 2011), et ont montré qu'au-delà d'un certain seuil, ces événements augmentaient les symptômes de stress post-traumatique, les altérations du fonctionnement, ainsi que le risque d'exposition à une future victimisation (Finkelhor et al., 2007). Un consensus relatif existe maintenant parmi les principaux experts en trauma psychologique sur le fait que les mauvais traitements interpersonnels chroniques et cumulatifs, notamment la négligence et/ou la violence survenant tôt dans la vie, peuvent perturber tous les aspects du développement normatif : cognitif, biologique, neurologique, émotionnel, relationnel et comportemental (Briere & Spinazzola, 2005; Cloitre et al., 2009; Courtois, 2008; van der Kolk et al., 2005). Le terme « trauma complexe » désigne à la fois l'exposition à des expériences interpersonnelles chroniques chez les enfants et les jeunes, ainsi que la constellation de séquelles possibles causant des difficultés importantes tout au long de la vie (Cook et al., 2005). Malgré l'amélioration récente de nos réponses sociales aux traumas des enfants et des adolescents grâce au déploiement de recherches, de pratiques et de politiques innovantes, des biais et croyances erronées sur les pratiques fondées sur les traumas (trauma-informed care) continuent d'imprégner les services en santé mentale et de limiter les véritables changements de paradigme (Sweeney & Taggart, 2018). En conséquence, de nombreux enfants et jeunes présentant des traumas complexes continuent de souffrir sans être remarqués, sans recevoir les ressources et le soutien nécessaires. Il est urgent de fournir aux enfants et aux jeunes victimes de traumatismes durant l’enfance des ressources et un soutien qui soient basés sur les données probantes liées aux traumas, axés sur la résilience et la guérison, ainsi que culturellement pertinents (Collin-Vézina, Brend, & Beeman, 2020). Cette section thématique vise à faire avancer ce domaine en mettant en lumière d'importants travaux scientifiques axés sur la pratique et les politiques sociales. Elle espère être une source d'influence pour apprendre, grandir et contribuer collectivement à améliorer le bien-être des enfants et des jeunes touchés par les traumas. Nous, lecteurs de la revue internationale de la résilience des enfants et des adolescents (RIREA), savons que le renforcement de la résilience individuelle et communautaire est primordial pour le bien-être des enfants et des jeunes, et ce, en unifiant et en améliorant les réponses sociales aux traumas par la recherche, la pratique et les politiques sociales.

L'article de Steward et ses collègues confirme, parmi un large échantillon d'enfants et de jeunes recevant des services de santé mentale, que les expériences traumatiques vécues durant l'enfance sont beaucoup trop courantes et entraînent des impacts négatifs graves. Leurs conclusions attirent l'attention sur la relation complexe entre les expériences traumatiques et la violence dirigée vers soi-même et les autres, ce qui soutient l'adoption de stratégies de dépistage et d'évaluation dans les établissements de santé mentale qui tiennent compte des expériences traumatiques survenues durant l'enfance. Leur étude contribue aux débats contemporains sur l'utilisation du dépistage systématique des traumatismes dans les établissements de santé (voir Collin-Vézina, Brend, & Fallon, 2020 pour une recension) et souligne l'importance de repenser ces procédures parallèlement à un changement de paradigme important pour promouvoir des soins aux patients sensibles aux traumas. Dans le même ordre d'idées, la recension de Lowenthal présente un résumé général des programmes de prise en charge des traumas mis en œuvre dans les secteurs de soins à l'enfance et de la jeunesse, et apporte des informations essentielles sur l'étendue de la mise en œuvre de ces programmes, les caractéristiques des programmes existants, ainsi que les résultats prometteurs et les obstacles constatés. Ces réflexions sont essentielles pour éclairer les recherches futures dans le domaine des pratiques et des politiques organisationnelles fondées sur les traumas.

Alie-Poirier et ses collègues, ainsi qu'Hébert et ses collègues, abordent l'importante question sociale liée à la victimisation sexuelle. Le premier article explore l'impact des traumatismes cumulatifs au-delà de l'agression sexuelle dans un échantillon d'enfants et de jeunes pris en charge par les services de protection de l'enfance. Cette étude met en évidence quatre profils liés aux traumatismes cumulatifs et au nombre d'années passées dans le système de protection de l'enfance, et confirme malheureusement que beaucoup de ces enfants et jeunes présentent des symptômes de traumatismes graves et complexes ou des profils de type dissociatif. Le deuxième manuscrit offre des indications sur la manière d'adapter, pour les enfants et les jeunes sexuellement abusés qui présentent des profils traumatiques complexes, le programme d'intervention internationalement reconnu de thérapie cognitivo-comportementale axée sur les traumas (TF-CBT; Cohen et al., 2012). Cet article va au-delà de la description et de la vérification empirique d'hypothèses sur le lien entre les traumatismes et la santé mentale, en proposant des outils concrets et pratiques pour mieux répondre aux besoins de cette population très vulnérable et, ainsi, promouvoir leur résilience. Dans le même ordre d'idées, les articles de Bruneau-Bherer et ses collègues et de Brend et ses collègues offrent un aperçu des approches innovantes avec les enfants souffrant de traumatismes complexes. Le premier article se concentre sur les stratégies de pleine conscience et présente un programme de yoga récemment développé, appelé Namasté, qui montre des résultats prometteurs en matière de soutien à la régulation et au développement des enfants pris en charge par les services de protection de l'enfance. Le deuxième article présente un programme de formation sur les traumatismes pour les intervenants en protection de l'enfance, appelé Pingouin, dont les premiers résultats d'évaluation suggèrent des changements positifs au fil du temps en ce qui concerne l'attitude des professionnels à l'égard des services sensibles aux traumas et les mesures moins punitives adoptées dans les foyers de groupe pour faire face aux comportements difficiles des clients.

L'article de Maurer contribue théoriquement au domaine de la résilience en appliquant la définition du processus biopsychosocial de la résilience aux entretiens approfondis conduits auprès de jeunes concernant leur régulation affective lorsqu'ils vivent des événements chargés émotionnellement. Ces jeunes, qui ont tous été victimes de violence familiale, décrivent à la fois leurs troubles internes et leurs grands besoins de soutien, ce qui renforce l'importance d'adopter une approche globale, systémique, qui va au-delà de la pathologisation des problèmes de santé mentale affichés par les jeunes et qui se concentre plutôt sur l'amélioration de l'accès aux ressources dans leur environnement. Cette perspective plus large, à l'échelle du système, est également soulignée dans le document de Brend et Sprang sur le bien-être des professionnels de la protection de l'enfance. Les auteures attirent l'attention sur l'importance de « prendre soin des soignants » afin que ces adultes puissent être pleinement préparés et équipés pour agir comme des agents de changement positifs auprès des enfants et des jeunes présentant des traumas complexes. Leur article, qui se concentre plus particulièrement sur les milieux de protection de l'enfance, recommande des stratégies organisationnelles pour promouvoir le bien-être des travailleurs et, par conséquent, pour favoriser des climats de travail positifs. Ces conclusions sont particulièrement importantes à la lumière de l’article de Doucet qui attire l'attention sur l'importance vitale pour les jeunes pris en charge par les services de protection de la jeunesse d'établir des relations significatives et de bâtir leur confiance en soi et en autrui. Les jeunes interrogés nous rappellent l'importance de mettre en place des organisations communautaires de soutien et de former les travailleurs pour qu'ils soient sensibles aux enjeux culturels, afin de répondre à leurs besoins pendant qu'ils sont pris en charge et lorsqu'ils quittent les services.

Inspirés des lignes directrices établies par la Substance Abuse and Mental Health Services Administration (SAMHSA, 2014), les articles inclus dans cette section thématique nous invitent tous à prendre part à une transformation sociétale qui vise à accroitre la sensibilisation aux traumatismes vécus durant l'enfance et à modifier les pratiques afin de reconnaître la prévalence et l'impact des traumas dans la vie de nombreuses personnes. Elles nous invitent également à faire preuve de courage en adaptant nos interventions et nos politiques pour mieux répondre aux besoins des enfants et des jeunes traumatisés, et à faire tous les efforts nécessaires pour construire des sociétés qui ne perpétuent plus les mauvais traitements et la violence.

https://doi.org/10.7202/1072591ar
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